Différente et normale

Aujourd’hui, c’est la première fois depuis plus d’un an et demi, que je parviens à lire un témoignage sans avoir la gorge serrée, l’estomac noué et sans que soudain les larmes se mettent à ruisseler sur mes joues tellement j’ai le sentiment d’y reconnaitre ma vie.

Aujourd’hui, ça va faire un an. Un an que je sais. Un an que j’ai trouvé les réponses à toutes mes questions. Un an qui s’est écoulé et avec une flopée de sentiments tous plus fort et confus les uns que les autres. Un an que j’ai compris et appris, que je suis normale mais différente ou différente et tout à fait normale.

Il y a un an, les mots sont tombées : Je suis autiste !

C’est écrit noir sur blanc dans le rapport – TSA de type asperger.
TSA pour trouble du spectre autistique, cette fois ça y est, c’est officiel !

Pour être honnête, j’ai déjà couché ces mots de nombreuses fois sur ce blog. Mais ils sont toujours restés en brouillon. Même si c’était certain, même si je l’avais annoncé à ma famille, même si j’en parlais librement sur les réseaux et à mon entourage, je n’arrivais pas encore à le faire ici sans trembler et sans pleurer. A vrai dire, je tremble encore un peu, je cherche mes mots, LES mots. Ceux qui seront juste, ceux qui sauront exprimer ce que je ressens au fond de moi depuis toujours et je réalise que mon blocage d’écrire ici, n’a pas encore tout à fait disparu…

60255484_104924750679370_5909020295662181870_n

D’aussi loin que remontent mes souvenirs, je me suis toujours sentie différente, bizarre, étrange, pas à ma place, seule et à coté de la plaque, étrangère à mon pays, étrangère à ma culture, étrangère à ma planète. J’avais l’impression de vivre à l’extérieur de mon corps. L’impression de ne pas être moi même, jamais. Comme si j’observais le monde depuis un point en hauteur pour essayer de le comprendre tout en indiquant à mon corps comment s’y adapter.
Et de l’extérieur, c’était « réussi ». Je faisais illusion. Du moins, je donnais suffisamment le change pour que ça passe !
Et c’est passé, personne n’a rien vu ou presque. Il faut dire que comme je suis malvoyante, on a attribué nombreuses de mes particularités à ça et moi même, j’étais persuadée que c’était lié et en voulant me rendre autonome très tôt, je suis également devenue un peu plus invisible.

Aujourd’hui à plus de 30 ans, j’apprends enfin à me connaitre. A savoir qui je suis et pourquoi. Mais ce n’est pas facile quand toute sa vie on a joué un rôle, quand toute sa vie on a porté un masque qui se transformait au fil des rencontres et des événements. J’ai appris à m’adapter, j’ai imité et puis qui aurait pu dire que cette petite fille intelligente, têtue, curieuse et créative, bien que parfois un peu atypique puisse être autiste ?

YaoyaoMVA_SomethingJustLikeThis-1050x1535

Mon bilan a révélé que j’étais également HQI/HPI pour haut quotient/potentiel intellectuel. En gros, j’ai un QI supérieur à la moyenne. D’après les médecins, c’est en partie ce qui a masqué les traits et retardé mon diagnostic. Mais je sais que ce n’est pas seulement cela. Comme expliqué dans mon précédent article, les femmes sont souvent sous diag si elles n’ont pas de déficience intellectuelle et ce pour plusieurs raisons allant du sexisme, aux biais de genre en passant par un retard accablant sur le sujet en France de la part de la société en générale et des médecins en particulier.

Pour être tout à fait honnête, j’ai toujours pensé que je pouvais être autiste sans vraiment employer ce mot. A vrai dire, je me suis toujours sentie proche des neuroatypiques que ce soit dans la vraie vie ou dans les oeuvres de fiction sans en comprendre vraiment les raisons. On m’a également plusieurs fois demandé si j’étais surdouée ou quelque chose comme ça, sous entendu y a un truc chez moi, mais pour autant je n’ai pas entamé la moindre recherche. Puis une auticopine a eu son diag, on en a discuté et j’ai laissé encore une fois cette idée de coté. Ca ne pouvait pas me concerner. Pourtant je n’avais pas spécialement d’idées reçues sur la question mais je ne sais pas, je ne voulais pas vraiment y penser.
Puis j’ai été amenée à consulter un généticien spécialiste de ma maladie, la microphtalmie. Il m’a demandé de passer un WAIS (un bilan de QI) et c’est là que tout à commencé !

47285681_316573165861967_7463730833170159809_n

Je savais que le WAIS était utilisé dans le cadre d’un diagnostic de TSA. J’ai commencé à me documenter un peu sur le sujet en lisant des témoignages et c’est là que ça m’a frappé. A chaque ligne que je lisais, mes larmes coulaient inlassablement et je me répétais systématiquement : »Moi aussi ! C’est moi ! ».

C’était devenu une évidence !

J’ai alors cherché un.e psy/cabinet spécialisé.e dans l’autisme au féminin. On a longuement échangé par mail. Ou plutôt, c’était assez unilatéral. Iel m’a demandé de lui écrire absolument tout ce qui pouvait me faire penser que je sois concernée, même des trucs que je pouvais trouver sans importance. Au départ, je ne savais pas vraiment quoi lui dire mais une vingtaine de mails tous plus long les uns que les autres plus tard, j’avais un premier rendez-vous pour ce qu’on nomme l’anamnèse. Après ce premier entretien, combiné à ce que j’avais pu lui dire par mail et ce qu’iel avait pu observer déjà, iel n’avait pratiquement aucun doute.
Il me restait qu’à passer les tests pour confirmer.

Je ne vous cache pas que pendant toute cette période je suis passée par de nombreuses émotions. Le doute, l’euphorie, la culpabilité. Je me sentais illégitime, le syndrome de l’imposteur m’avait frappé. Je me disais que je volais la place de quelqu’un d’autre, je me disais que je faisais forcément fausse route. Mais je me disais aussi que ça ne pouvait être que ça. Mais si les résultats étaient négatifs, alors j’étais quoi ?

Les tests ont été très éprouvant moralement et physiquement. Je suis ressortie de là complétement vidée. J’étais tétanisée la veille, incapable de dormir et j’ai fait un shutdown lors de la passation avec dissociation et larmes, c’était super. SPOILER : NON ! Les jours suivant j’étais incapable de penser à autre chose. Je me repassais en boucle toutes les questions, mes réponses et j’ai douté, encore et encore. On a fait des tests complémentaires et enfin l’attente.

YaoyaoMVA_EscapingReality-1050x1496

Et puis un mois plus tard, j’ai reçu le compte rendu. Je l’ai lu, relu et re relu. J’ai noté des erreurs (mon coté aspie visiblement) mais surtout j’ai lu des choses sur moi dont je n’avais même pas conscience. Ma façon de me tenir, de parler, de réagir. Et puis la conclusion sans équivoque. C’était marqué là, noir sur blanc, sans aucun doute possible, je suis autiste !
On a longuement débriefé, iel m’a demandé si j’avais besoin de soutien, d’en parler, si j’avais des questions. A vrai dire, j’en avais des tonnes mais impossible d’être cohérente. Puis à nouveau les doutes et si iels s’étaient trompé.es ? Puis la colère, pourquoi on n’a rien remarqué avant ? Puis la joie d’être juste moi. La tristesse d’être juste moi également. Je suis passée par plusieurs mois teintés de différents sentiments tous plus confus les uns que les autres.

J’ai commencé à lire sur le sujet, encore et encore. J’ai avalé absolument toutes les ressources possibles aussi bien en Anglais qu’en Français. J’ai acheté des dizaines de livres. J’ai étudié l’effet Barnum, les biais des tests, les études sur le TSA au féminin.
Iel m’a rassuré, il n’y a pas d’erreurs possibles et puis c’est vrai qu’en relisant le compte rendu, on voit bien que beaucoup de choses sont « atypiques » chez moi. En fait, je ne masque pas si bien que je le pensais. Ça m’a d’ailleurs choqué quand ma généraliste m’a annoncé que ça ne l’étonnait pas et que ça expliquait de nombreuses choses (Pikachoqué) !

Dwk56O8WoAAOqgC

Mais j’ai quand même continué un peu à douter, d’abord parce que mes parents ont été dans le déni et je ne peux pas leur en vouloir, les idées préconçues sur le sujet sont bien ancrées. « Tu es sure que c’est pas une erreur ? Comment tu peux leur faire confiance ? Tu ressembles pas à ta cousine. Pourquoi vouloir une étiquette ? On est tous un peu autiste. ». Oui pour ceux qui connaissent le sujet, ils ont effectivement coché toutes les cases du bingo et pas facile d’expliquer quand soi même on est dans un tourbillon d’incompréhensions et d’incertitudes.
Et également parce que c’est pas facile de revoir tout le film de sa vie sous un autre angle mais ça a été nécessaire et bénéfique au final.

60221087_1341636345993548_1645266520248089191_n

Il y a une phrase que je répétais régulièrement :« Le savoir ne changera rien. »
J’étais loin de me douter que ça ne changeait à la fois rien et à la fois tout ! Si ça ne change pas qui je suis, ce que j’ai vécu, ce que j’ai ressenti et ressens toujours, ça change pourtant absolument tout.

J’apprends au fur et à mesure à me connaitre, à poser mes limites, à être plus bienveillante face à mes difficultés. J’apprends également sur mes fonctionnements et pourquoi. Par exemple je suis synesthète, je suis également dyscalculique et légèrement dyspraxique, avec une touche de prosopagnosie et d’alexithymie. Je fais parfois du mutisme sélectif. J’ai également un trouble anxieux généralisé mais bon, rien d’étonnant à ça quand on a passé sa vie à s’ignorer, à un moment le corps et l’esprit finissent par lâcher. Et aussi un léger trouble des fonctions exécutives. Je fais toujours des bourdes sociales mais ça ne me travaille plus autant qu’avant. J’ai moins honte de vivre mes intérêts spéciaux et je me cache moins quand ça ne va plus du tout.
J’ai aussi remarqué que j’ai l’air plus autiste qu’avant dans le sens où je réprime moins certains comportements ou que je retiens moins ce que j’ai besoin de dire ou faire. Le masque commence à s’émietter et c’est peut-être pour le mieux.

Bref, ça ne change rien et en fait ça change absolument tout !

YaoyaoMVA_JustDontCareToday-1050x1535

Cette année 2018 a sonné comme un nouveau départ. Un départ un peu chaotique je dois l’admettre mais aussi un départ plein d’espoirs et de positivisme.

Je suis moi, différente mais normale à ma façon !

Images d’illustrations faites par l’artiste Yaoyao Ma Van As.